“T’étais où” ?
Interview de Pascale Le Dain dans la revue ACTIVES
parution : Actives mai 2010
Laquelle d’entre nous peut se vanter de n’avoir jamais entretenu le moindre soupçon d’infidélité à l’egard de son conjoint, ni de n’avoir jamais envie le charme si magnétique de sa meilleure amie ? la jalousie est un sentiment avec lequel nous apprenons à composer, mais qui peut rapidement devenir un véritable fléau s’il n’est pas maitrise. Par Virginie Bosc
Ca y est ! A peine 5 mn de retard et votre boite à fantasmes se met en marche. C’est sûr il vous trompe ! D’ailleurs, le SMS qu’il a reçu hier soir à 23h07 n’est sûrement pas une pub de son opérateur téléphonique !
Sans compter le cheveu blond que votre regard acéré n’a eu aucune difficulté à repérer sur sa veste, lorsqu’il l’a négligemment posée sur le canapé… C’est bien la preuve qu’il se passe quelque chose, non ?
Votre cher et tendre aura beau vous répéter, avec une patience d’ange, qu’il est resté coincé dans les embouteillages, que le SMS était celui de son copain Antoine qui est un véritable oiseau de nuit, et que le cheveu n’est rien d’autre qu’un poil de votre golden retriever, rien ne vous empêchera plus d’imaginer le pire : votre homme en aime une autre !
“La jalousie est évidemment associée de cette crainte : la perte de l’être aimé, mais s’apparente aussi à un sentiment de dépit de ne pas avoir ce que l’autre possède” souligne Pascale Fabra Le Dain, conseillère conjugale à Annemasse.
“Dans la psychologie Freudienne, le Moi s’aime depuis son origine et continue de s’aimer à travers les objets de son choix. Le jaloux vit avec la peur de perdre son objet d’amour. Or , le conflit oedipien va nous imposer très tôt une blessure narcissique, à savoir que nous ne sommes pas l’unique de notre mère ! C’est une blessure dont il faudra guérir pour apprendre à devenir autonome. Nous sommes tous confrontés à la jalousie car seul, nous ne pouvons pas exister !”.
Les causes de la jalousie seraient donc à rechercher dans la petite enfance, et supposeraient que si vous avez gagné votre autonomie en essuyant ce premier affront, vous auriez évidement moins de risque de tomber dans les pièges d’une jalousie dévastatrice !
“La jalousie est en lien avec l’estime de soi, même si elle se manifeste différemment selon le caractère, le sexe et de l’histoire de chacun. N’allez pas en conclure que la jalousie est l’apanage des femmes : Il existe DES femmes jalouses, ça ne les concerne pas toutes, heureusement ! Ce sont d’ailleurs chez les hommes qu’on peut observer les formes les plus graves : 70 % des délits dus à la jalousie sont provoqués par des hommes” ajoute la thérapeute.
L’enfer, c’est les autres !
La jalousie ne se manifeste pas seulement dans la relation amoureuse, elle distille aussi son poison dans l’existence sociale. Pour Pascale Fabra Le Dain, la question s’étend, non seulement à la notion de rivalité, mais aussi à celle du territoire. Flore raconte : “Tout me rend jalouse. Quand j’ai un animal, et que je rencontre des personnes qui en ont un, je me dis qu’il est plus beau, plus jeune, plus gentil, bref mieux ! Quand je m’aperçois des différences qui existent entre les personnes que j’approche et moi, je finis toujours par développer un sentiment de haine envers l’autre que rien n’arrive à calmer !”
Nul doute que la souffrance soit réelle, “le manque d”estime de soi conduit le jaloux à penser que les autres lui sont supérieurs. On rejette l’autre soit parce qu’il a ce qu’on n’a pas, soit parce qu’il est comme on s’interdit d’être, soit parce qu’il est ce qu’on aimerait être ! ” explique Pascale.
Plus pervers, la jalousie peut même trouver son origine dans une projection inconsciente, qui consiste à imaginer chez l’autre la tentation d’infidélité qui est soi ! Difficile alors de faire confiance à l’autre quand on se suspecte soi-même.
Si la jalousie est un sentiment développé par chacun d’entre nous, il convient toutefois de distinguer la jalousie névrotique, c’est-à-dire celle qui restera maîtrisée, de la jalousie pathologique dont la forme est beaucoup plus grave. “Ca commence par une obsession, qui vire à l’idée fixe, et qui peut aller jusqu’au délire ! Sans entrer dans la psychose érotomaniaque, trés rare, qui est une sorte de revendication délirante d’un objet passionnel, je crois que la jalousie feminine renvoie surtout au questionnement de sa propre féminité. Une femme jalouse se demande “ce qu’est une femme ” et pense que l’autre l’incarne. C’est une idéalisation supposée de l’autre femme qui, elle, serait capable de compléter un homme. La jalouse cherchera alors à devenir l’unique, la désirée, l’objet de passion “. Et pour y parvenir, tous les moyens sont bons ! Ce qui n’était qu’une vague suspicion peut vite se transformer en cauchemar. Le jaloux ne lutte plus, il passe a l’acte, et commence ses investigations en acceptant les situations les plus absurdes. Fouille complète des poches de pantalon, du portable, de la boite mail, enquête de l’entourage…
L’intrusion dans la sphère privée du conjoint ne connait plus de limite. “Dans l’idée fixe, tout devient signifiant pour le jaloux. Un retard, c’est la preuve qu’on était avec quelqu’un d’autre, un coup de fatigue signifie forcément que le conjoint s’est livré a la débauche, la quête de preuves devient une occupation de chaque instant. On est dans un prélude à la folie qui peut mener jusqu’au meurtre ou au suicide ! Il est donc tres important de travailler sur l’histoire personnelle de chacun. La jalousie n’est pas une fatalité, on peut en guérir mais elle renvoie parfois à des blessures plus anciennes. J’essaie d’accompagner mes patients sur leur trajectoire, en servant de caisse de résonance, car le plus souvent ce sont eux qui détiennent la clé ! ” confie la thérapeute.
La jalousie serait-elle toujours un poison ? A petite dose, elle est normale. De là à la considérer, par exemple, comme une preuve d’amour, Pascale Fabra le Dain s’insurge “ C’est tout le contraire l L’amoureux pensera d’abord au plaisir de son conjoint. Le jaloux, lui, est dans une logique égocentrique et possessive.” Mais, à pousser l’autre à la faute, ne risque-t-on pas de provoquer ce qu’on cherchait justement à éviter ?
Tout bon jaloux devrait, peut être, se poser la question…